25
juin

Le marché des visibilités

Les lendemains de Marches des Visibilités sont pour moi les moments les plus propices à l’introspection. Dans le confort de mon lit douillet et avec enfin une bonne excuse pour couper (presque) tout contact avec l’extérieur, je m’autorise à errer entre des relectures méthodiques des jours et des semaines passées, et des projections, conjectures et fantasmes sur ce dont sera fait l’avenir.

Cette fois, je suis ramené quelques mois plus tôt, aux prémices de ce que je considère comme un changement de trajectoire majeur dans les engagements portés par Requeer, en direction d’une véritable émancipation de la communauté kwir réunionnaise. En réaffirmant sa compréhension de l’intersectionnalité, l’association est enfin revenue au plus près de la vision qui lui a donné naissance, et cela produit des effets que l’on a pu constater tout au long de ce mois des Visibilités, et pas plus tard qu’à la Marche d’hier ; j’ai vu des coopérations que l’on croyait définitivement enterrées rebourgeonner, des voix jusqu’alors à peine audibles s’élever. Sans pour autant les porter en gloire, j’estime que les sacrifices et les déchirements qui nous y ont mené étaient un mal nécessaire. À présent, œuvrons à ce qu’ils aient été les seuls et les derniers, en mobilisant toute la bienveillance que cela requiert.

Je tiens toutefois à éviter la tentation de l’angélisme. Travailler ensemble prend du temps et demande inévitablement des efforts d’accommodation. Le terrain de nos luttes communes connaîtra des aspérités qu’il nous faudra accepter et aménager en conséquence. Mais ce travail ne saurait incomber à une entité unique. Le peu de piété qui subsiste en moi aspire à une émancipation grandiose (et visible de notre vivant) de nos communautés, qui aura été le fruit de l’action véritablement collective de Requeer et des autres associations, mais aussi de leurs partenaires publics et privés, de la Ballroom Scene réunionnaise émergente et de ses houses, de chaque individu qui constitue la diversité des LGBTQIA+ ainsi que leurs allié·es. Abattons les inégalités qui constituent les fondations du capitalisme. Je continue d’espérer que le reste de l’édifice suivra.

Je me souviens des inquiétudes que j’ai ramenées des Prides européennes et transposées sur la première Marche des Visibilités de La Réunion, il y a deux ans ; comment préserver le caractère militant et politique (bien qu’apartisan) de la Marche tout en évitant les pièges du pinkwashing, lorsque la question du coût croissant des actions prend davantage d’ampleur au fil des itérations ? D’autant plus que la problématique est amenée à se complexifier à mesure que d’autres acteurices intègreront le mouvement (cf le paragraphe précédent).

Je ne peux prétendre avoir de réponse convenable à cette question, ni même d’avis cimenté par mes convictions. Je sais simplement que nous gagnons à avoir à portée de main une diversité de vécus, de parcours, d’identités et autant de réponses à cette question qui en découlent. Nous avons également la chance de nous tenir à une période charnière de ces luttes, ce qui signifie qu’il nous reste encore de la matière brute à façonner. Enfin, l’opportunité nous est laissée de porter nous-mêmes nos revendications pour nous-mêmes et nos semblables. Ne cédons plus une once de notre droit à l’autodétermination.

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