juil.
Petite retrospective et engagements
Lorsque Brandon a annoncé fin avril vouloir organiser pour trois semaines plus tard ce qui est ensuite devenu la première marche des visibilités LGBTQIA+ de La Réunion, j’étais très loin de me douter que l’évènement prendrait une telle ampleur : l’organisation a pu se faire grâce à l’implication, au soutien et à l’encadrement de dizaines (si ce n’est au moins quelques centaines) de personnes, et les participant·e·s se sont compté·e·s, à la surprise de toustes, en milliers. Mais au-delà des chiffres, je pense pouvoir dire que cette marche a eu un réel impact sur les personnes concernées par les messages et les revendications qu’elle a portés, que ces personnes aient pu ou non y être présentes physiquement. Je constate par exemple auprès de proches qu’il est enfin plus aisé d’aborder le sujet des identités de genre et des orientations sexuelles à La Réunion sans être forcément pessimiste ; que pour celleux qui ont quitté l’île en se sentant contraint·e·s dans leur épanouissement, le retour est redevenu une possibilité ; que de nouveaux projets voient le jour pour continuer ce qui a été amorcé en ce dimanche 16 mai.
Cette marche n’a évidemment pas fait disparaître du jour au lendemain les lgbt+phobies ni les violences et les difficultés qui subsistent au sein de certaines familles. Elle a néanmoins envoyé un signal très fort : nous ne sommes pas seul·e·s et nous faisons communauté. Ce message, nous continuerons à le répéter aussi longtemps que cela sera une nécessité.
Au lendemain de cette première marche, des questions se posent naturellement sur la suite à lui donner. À qui reviendra l’organisation des prochaines itérations, dans quel format, avec quels financements, ainsi que tout ce que cela implique concernant sa représentativité et sa légitimité sur le plan des revendications, son positionnement vis-à-vis de certaines institutions, et jusqu’à son caractère politique. Je suppose par habitude que les réponses à ces questions ne se révèleront qu’à l’issue de débats parfois douloureux, de duels d’ego et finalement de concessions, mais j’ai foi en notre capacité à toustes de produire des choses exceptionnelles à partir de situations peu favorables, comme l’ont de toute façon prouvé cette marche et le travail des militant·e·s de manière générale.
N’oublions pas non plus que cet évènement historique n’est pas que le résultat de ces quelques semaines de mobilisation, mais bien le fruit d’un travail long et difficile qui a été entamé sous d’autres formes bien des années auparavant, et s’inscrit lui-même dans la continuité de luttes transgénérationnelles. De la même façon, il s’agit aujourd’hui d’un combat qu’il faudra continuer à mener et qui continuera à évoluer et à se transmettre à mesure que de nouvelles voix s’élèveront.
Pour ma part, j’ai le privilège d’être entouré depuis plusieurs années d’ami·e·s et d’une famille bienveillant·e·s, et même si j’ai également des bénéfices à tirer d’une évolution des mentalités à l’échelle de la société, ma participation à la marche n’est pas porteuse d’enjeux qui me semblent aujourd’hui prioritaires, tels que la visibilisation des personnes trans et intersexuées — qui sont encore mises en marge au sein même de nos luttes —, ou la condition des personnes LGBTQIA+ réunionnaises et/ou racisées, qui du fait de leur environnement social et familial ne peuvent affirmer leur identité aussi librement que le feraient d’autres. De cette expérience, je tire en tout cas un regain d’optimisme dans les mobilisations collectives et dans le pouvoir d’une communauté qui partage des besoins et des revendications qui se croisent, lorsqu’elles ne sont pas tout simplement communes.
Cet élan m’a amené de manière presque logique à m’intéresser et même à m’impliquer timidement dans les élections régionales et départementales, car en tant que kwir réunionnais·e·s, nous sommes avant tout concerné·e·s par les décisions qui sont prises à l’échelle de notre territoire, qu’elles concernent ou non notre identité de genre et notre orientation sexuelle. Mon court temps dans la campagne électorale m’a permis de rencontrer quelques personnes admirables et plus ou moins sincèrement impliquées dans l’intérêt collectif, au point que je m’autorise aujourd’hui à croire que, contrairement à l’image que l’on retient communément de cet environnement, tout n’est pas qu’affaire d’intérêts personnels et d’ego-politique (même si ces aspects constituent néanmoins une partie du peu que j’ai pu entrevoir pendant cette période de découverte).
Les expériences de ces deux derniers mois m’ont ainsi permis de saisir toute l’importance de la coopération. Les luttes sont essentielles, mais il est impossible de participer activement à toutes celles qui nous traversent. Se positionner de manière authentique à des moments donnés, se retirer quand les limites humaines le demandent, c’est autant une façon de se préserver que de laisser sa place à d’autres. Tout aussi importante, une vraie bienveillance entre militant·e·s permet d’alléger le poids des oppressions auxquelles nous faisons toustes déjà face. Elle ne devrait pas être optionnelle.