mars
« The conversation isn’t over »
L’hiver dernier, Nottingham Contemporary présentait l’exposition intitulée Monuments Should Not Be Trusted, qui amenait à découvrir l’ « âge d’or » de la République fédérative socialiste de Yougoslavie à travers les oeuvres de plus d’une trentaine d’artistes issus de l’époque et du contexte en question.
Dans le cadre du Memory Project annuel, maintenant appelé Aftermath, les étudiants du Master en arts plastiques de Nottingham Trent University, rejoints pour la première fois par les étudiants des Masters en histoire de l’art et en culture visuelle de The University of Nottingham, ont collaboré pour monter une exposition qui répondait à Monuments Should Not Be Trusted en réactivant la conversation initiée lors de l’exposition d’hiver, et même un demi siècle auparavant, en Yougoslavie.
Nous l’avons appelée The Conversation isn’t over (littéralement « La conversation n’est pas terminée »), et ce fut pour la plupart d’entre nous une expérience inédite, ce qui fut à la fois la cause de quelques problèmes logistiques et l’occasion d’avoir un avant-goût de nos futures carrières d’artistes et de commissaires d’exposition (je touche du bois).
Pour ma part, j’ai présenté une pièce spécialement réalisée pour l’exposition et une autre dont la création remonte au mois d’Octobre, au début du premier semestre.
« Les godes de Tito » (titre auquel je préfère l’anglais Tito’s Dildos) sont une série de quatorze dessins au graphite directement inspirés de la collection de batons de relais présentés lors de l’exposition Monuments Should Not Be Trusted. Ces batons de relais faisaient partie d’une collection (beaucoup) plus large de dizaines de milliers d’autres batons utilisés lors des courses de « Relais de la jeunesse », organisées annuellement entre 1945 et 1988 en tant que célébrations du pouvoir et de la naissance de Josip Broz Tito, à la tête de la Yougoslavie pendant la quasi totalité de cette période. En d’autres termes, ces batons de relais étaient des cadeaux d’anniversaires du peuple de Yougoslavie à leur dirigeant, que l’on qualifiait de « dictateur bienveillant ».
Cette contradiction m’a mené vers une ré-interprétation humoristique de ces magnifiques objets artisanaux en godemichets, objets qui portent selon moi la même force antithétique.
La forme phallique de ces sex-toys leur confère le statut de symboles de l’autorité masculine, mais ceux-ci sont plus communément associés à des usages féminin ou homosexuel, ce qui est loin de correspondre à la représentation de la « masculinité hégémonique » cultivée par les dictatures.
En altérant (de façon imaginaire) la fonction originelle de ces batons de relais, nous ouvrons la porte à des ré-interprétations de l’histoire dans lesquelles, par exemple, Tito serait un fervent collectionneur de godemichets aux formes insolites, ou le peuple offrirait littéralement à son gouvernement de quoi « aller se faire foutre ».
Ces histoires alternatives n’existent évidemment qu’à travers ces pages extraites d’un journal intime; la meilleure antithèse que j’ai pu trouver aux affiches de propagande.
Les « Reliquats » portent une aura plus solennelle. La pièce est constituée de soixante-deux morceaux de plâtre sur lesquels sont tamponnés des nombres allant de 001 à 062. Ils sont classés dans l’ordre numérique croissant dans une grille de sept lignes et dix colonnes.
Les fragments sont présentés comme des trouvailles archéologiques, mais n’ont pas l’air d’être issus d’un objet identifiable. Ils semblent plutôt avoir été sélectionnés de manière aléatoire, et l’impression d’avoir une série ordonnée ne vient que de sa numérotation, qui a pourtant l’air tout aussi arbitraire que la forme des petites sculptures.
Les archéologues déterrent et découvrent des fragments de l’Histoire de l’humanité, un héritage commun à tous. Considérer ces « Reliquats » comme une oeuvre d’art reviendrait à en faire également un infime fragment de cet héritage, qu’il reste encore à déchiffrer et interpréter.
Cette oeuvre, un ready-made de chez Inferno Pizza, n’a pas pu être exposée pour des raisons de sécurité. Elle faisait partie d’une performance que j’ai intitulée « Après l’effort, le réconfort ».