Je reprends la définition qui est faite du projet sur sa chaîne YouTube : “HERstory est une plateforme de recherche, de rencontres et d’expositions visant à fabriquer et à rendre visibles des archives vivantes et féministes d’artistes et de militant.e.s du monde entier.“
J’ai beaucoup hésité avant de concrétiser ma participation à HERstory, parce que je me pose constamment la question de la légitimité et de la pertinence de ma parole et qu’en l’occurrence, celle-ci aurait une portée plus importante que dans le cadre de mes conversations habituelles.
Ce n’est qu’après m’être finalement convaincu que cette intervention ne pourrait de toute façon avoir aucun impact négatif majeur sur la face du monde ni ma propre vie, que je me suis lancé, puis écrasé, face à Julie, Pascal et leur caméra.
Ma peur de l’objectif conjuguée à ma timidité ont effacé tout semblant de détermination, au point qu’il me devienne impossible de formuler une phrase complète. J’ai tout de même péniblement réussi à mener cet enregistrement à son terme, grâce aux aménagements que Pascal et Julie ont bien voulu proposer. Cela ne s’est malheureusement pas fait sans quelques bégaiements, des formulations approximatives, ou des propos parfois déformés par l’hésitation.
J’écris donc ce texte comme un complément à mon portrait vidéo, un prolongement de réflexions qui ont été amenées de manière trop succincte ou maladroite. L’objet étant davantage d’étoffer mon discours que de le polir.
1/ Qui Parle — En quelques mots, pouvez-vous nous dire qui vous êtes : votre parcours, vos assignations, vos oppressions, vos privilèges ?
Je m’appelle Jayce Salez, et je suis tout ce que cela implique comme combinaisons d’identités. J’ai cependant tendance à en dégager des éléments plus que d’autres lorsque le contexte le demande. Je suis donc graphiste et/ou webdesigner lorsque je dois justifier d’un rôle actif dans la société, ce à quoi je peux parfois ajouter la fonction d’artiste lorsque que cela est acceptable ou que je souhaite apparaître comme un original ; je suis aussi défini par mes origines lorsque je m’interroge sur ma place dans le monde ou qu’on m’y renvoie par assignation ; je suis gay lorsque je revendique mon orientation sexuelle ou la subis. Il me paraît aussi important ici de me décrire comme un homme cisgenre, français, valide, de classe moyenne inférieure, éduqué, afin de préciser la perspective de laquelle je m’exprime.
Des oppressions, je pense y avoir été confronté assez tôt en raison de mon apparence physique, de mes origines ethniques et plus tard de mon orientation sexuelle, sans forcément les comprendre ni les identifier immédiatement comme malveillantes. Ce n’est finalement qu’assez tardivement que j’ai pu disposer d’un environnement et de connaissances favorables à leur contestation, et que j’ai ainsi pu commencer à me défaire des discriminations que j’avais intériorisées. Ce processus passe pour moi par une reconnexion avec un héritage culturel longtemps mis de côté, et par la prise de conscience, puis la déconstruction des rapports de domination dont je peux être témoin, victime ou desquels je peux même parfois me retrouver complice au quotidien.
Bien que je semble présenter mes parents comme d’importants contributeurs à mon “acculturation”, j’ai en réalité conscience de l’existence des influences et des pressions qu’ils ont eux-mêmes subies du fait de leurs conditions particulières. De plus, les problématiques auxquelles je suis aujourd’hui confrontées n’ont absolument rien d’inédit dans ma généalogie ; je n’ai fait qu’hériter de questions subsidiaires à celles que se posaient probablement déjà mes parents et les leurs avant eux.
2/ D’où je parle — Où vivez-vous ? Dans quel contexte ? Comment vous engagez-vous auprès de votre territoire (un quartier, une ville, un pays et plus) ?
Je suis né et j’ai vécu une grande partie de ma vie dans la ville du Port, à La Réunion. J’ai toujours ressenti qu’il existait de manière plus prononcée que dans d’autres communes de l’île une fierté revendiquée d’être Portois•e. Je suppose que ce sentiment tire ses sources dans l’histoire de la ville, qui est profondément liée à celle des luttes sociales et ouvrières, et du Parti Communiste Réunionnais. Paradoxalement — ou pas —, la ville et ses habitants souffrent de nombreux préjugés ; Le Port est souvent associée à l’insécurité, à la délinquance, à la violence, au chômage, à la pauvreté, et à tous les maux qui peuvent en découler. Si ces préjugés peuvent dans certains cas traduire des réalités, ils ne font rien pour dénoncer les inégalités qui en sont les causes et ne font au contraire que stigmatiser davantage une partie intégrante de la population réunionnaise. Je mets surtout l’accent sur les perceptions négatives, mais Le Port se fait bien sûr aussi occasionnellement remarquer de manière positive dans les faits et dans les médias. J’aspire toutefois à ce que ces situations ne relèvent plus de l’exception, et qu’elles ne soient pas systématiquement créées dans l’idée d’une opposition ou d’une élévation par rapport à ce que serait la condition naturelle de la Portoise et du Portois. Si je devais m’engager particulièrement sur un territoire, ce serait probablement dans la ville du Port, puis à La Réunion.
Je m’exprime au conditionnel sur ce point car je n’estime actuellement produire aucune forme d’engagement concrète. Je peux compter dans mon historique des tentatives de militantisme à petite échelle en faveur du végétarisme et de la cause animale, quelques interventions timides dans des actions menées par des associations LGBTQQIP2SAA locales, ou encore des participations à des marches des fiertés en Angleterre, mais rétrospectivement, je me reprocherais de ne pas avoir su ancrer plus profondément ces engagements sur le territoire dans lequel je m’inscris, ce qui implique selon moi d’identifier et d’intégrer au préalable les problématiques qui traversent ledit territoire et d’envisager les luttes comme étant convergentes.
La question de la légitimité, qui m’obsède et me poursuit en permanence, me pousse aussi aujourd’hui à associer ces engagements à des questionnements sur ma construction identitaire : Est-ce que je parle au nom de ou en tant que ? Ma connaissance du sujet est-elle suffisante pour que j’aie le droit de m’exprimer ? Ou plus explicitement : puis-je me considérer comme réunionnais et/ou malgache et/ou chinois si mes connaissances de la langue et de la culture sont lacunaires ?
Ma réflexion sur ces questions se nourrit aujourd’hui de lectures et d’échanges avec des proches, amis et connaissances, par le partage d’expériences personnelles. Je regrette d’ailleurs l’emploi dans la vidéo du terme « exilé » qui peut dans certains cas être excessif et qualifier à la place des concerné•e•s leur propre expérience.
3/ À qui je m’adresse — À travers vos œuvres ou vos actions, à qui vous adressez-vous ? Les raisons de vos engagements sont-elles personnelles et/ou collectives ?
Je pense avoir longtemps essayé de me conformer dans mes productions à l’idée que j’avais de ce qu’était l’art contemporain — par ce qui nous parvenait à l’école ou sur internet des grands centres européens et nord-américains ou de l’histoire de l’art post-WWII de ces mêmes zones géographiques —, ce qui aboutissait souvent à des formes froides, autoritaires, et prétendument neutres.
J’aurais difficilement envisagé à l’époque me remettre en question sur les standards que j’avais intériorisés, alors que je me questionnais déjà sur ma légitimité (encore), du fait de mon statut de simple étudiant et du milieu duquel je venais, qui était totalement déconnecté de l’art, ou plutôt de cette forme d’art que je perpétuais. Ce n’est qu’après avoir eu l’opportunité de me faire une idée plus précise de ce qui se trouvait réellement dans certains de ces lieux, et même de réaliser qu’il existait d’autres lieux d’art autour ou aux antipodes de ces “hypercentres”, que j’ai fini par intégrer dans mon processus de création des interrogrations sur le public à qui je destine mes œuvres et celui qui y a réellement accès, ainsi que ce que cela implique dans la finalité de l’œuvre et la façon dont elle est communiquée.
Je ne peux prétendre aujourd’hui être totalement en accord dans mes actes avec les idéaux que je souhaite appliquer, mais il est certain qu’il n’est plus possible de produire de l’art qui se veut porteur d’un engagement social pour finalement le restreindre à un public qui y est étranger, et dans le même ordre d’idée, d’imposer à un public des œuvres qui ne l’incluent pas de manière authentique.
4/ Mise en pratique de vos engagements — Quels sont vos modes d’engagements ? Quels projets ? Quels dispositifs et modalités d’action ?
Actuellement, mon engagement passe avant tout par un travail d’auto-instruction et de conscientisation. Je souhaiterais pouvoir ensuite m’engager de manière plus effective par le biais de ma pratique artistique, en solo et en collaboration avec des ami•e•s artistes et/ou militant•e•s. Cette réalité reste cependant à construire, car mes choix m’ont amené à mettre cette pratique artistique en second plan pour subsister grâce à un emploi dit alimentaire.
5/ Êtes-vous féministe ?
Je suis féministe d’abord pour ma mère, ma nièce, mes cousines, les femmes de ma famille, mes amies, les femmes dans leur diversité, mais aussi les hommes, trans ou cisgenres, indifféremment de leur orientation sexuelle, et moi-même. Pour tou•te•s finalement, car la domination masculine ne concerne pas exclusivement les femmes. Elle concerne cependant particulièrement des femmes, souvent en sus d’autres formes de domination qu’elles peuvent aussi subir simultanément et en raison d’autres propriétés.
Il me paraît donc important d’avoir toujours conscience, et de préciser que je m’exprime sur ce sujet de la position d’un homme cisgenre dont les réalités sont radicalement différentes de celles que peuvent vivre d’autres de manière plus vive au quotidien, et dont la parole serait plus légitime à exprimer des revendications féministes.
Cet état de fait, je l’ai malheureusement trop souvent utilisé pour excuser mon manque de connaissances et d’implication directe dans les luttes féministes, mais je me revendique aujourd’hui comme un allié, un soutien disponible et informé à la lutte lorsque celui-ci est justifié ou demandé.
J’espère pouvoir considérer ma participation à HERstory, archive féministe, comme une démonstration de cette prise de position. Elle a en tout cas été, à titre personnel, l’occasion de libérer ma parole sur des sujets qui me tenaient à cœur. Même si la démarche est au final assez maladroite, elle m’a permis de dégager quelques réponses sur la pesante question de ma légitimité.
Je suis revenu à Nottingham pour la première fois depuis 3 ans, dans l’espoir de retrouver ce qui a fait de cette période pendant laquelle j’y ai vécu l’une des plus importantes de ma vie.
La ville n’a quasiment pas changé. J’étais plutôt satisfait de pouvoir me repérer dans ses rues avec autant de facilité que si je ne les avais jamais quittées. Quelques enseignes en sont devenues d’autres ici et là, et des travaux d’amélioration ont été faits à certains endroits… Mais dans l’ensemble, il s’agit bien de la même ville où j’ai passé cette merveilleuse année 2015-16.
Nottingham dispose d’une large population jeune et étudiante. On s’en rend particulièrement compte en cette période « post-graduation » où les rues sont bien moins animées et l’atmosphère peu festive.
Je me suis rendu en des lieux de la ville auxquels je rattachais des souvenirs particuliers, en pensant ranimer de cette façon des émotions que j’avais à l’époque ressenties. Les seules que j’ai réussi à tirer de cette expérience étaient la tristesse et la mélancolie. N’y ayant plus de raison d’être, ni de « chez-moi », Nottingham est redevenue une ville comme une autre, ou au mieux une ville remplie de souvenirs.
En vérité, ma connexion avec elle n’était que superficielle et temporaire. Elle n’était pas du même ordre que « la ville où je suis né » ou « la ville où j’ai vécu la majeure partie de ma vie ». Il s’agissait plutôt à l’époque de la ville où j’ai été amené à vivre pendant une certaine durée.
Cela ne change rien à l’intensité des moments que j’y ai vécus, mais ceux-ci n’étaient pas que le fait de Nottingham. Les lieux n’étaient que des cadres dans lesquels se sont déroulés ma rencontre avec d’autres personnes.
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Trouver un emploi peu de temps après mes études d’art m’a permis d’échapper à la dépendance financière vis-à-vis de mes proches et à une certaine précarité. Le fait qu’il s’agisse en outre d’un emploi dans le domaine de la communication digitale m’a permis d’acquérir et de mettre en application des connaissances qui se situent dans un champ proche de ma pratique artistique. Cette dernière bénéficie ainsi d’un apport providentiel de compétences et de ressources par un emploi dit « alimentaire », mais cela me maintient dans un équilibre que je ne peux m’empêcher de trouver bancale.
La première raison à cela est que ce double emploi — car être artiste en est bien un — implique de renoncer à de la disponibilité : il peut aussi bien s’agir de temps libre que de disponibilité physique et intellectuelle. Une pratique artistique nécessite en général du temps et de l’énergie, aussi bien pour la mise en œuvre d’idées que pour la formation de ces idées elles-mêmes. Répartir ces ressources entre deux activités (ou plus) de manière équitable n’a rien d’impossible, mais cette ambition nécessite des efforts d’organisation et doit tenir compte des limites de ce qui est humainement supportable, du moins sur le long terme.
De plus, du temps de mes études, les contraintes que représentaient par exemple les échéances scolaires ou le manque de moyens matériels étaient des moteurs pour ma créativité et façonnaient dans une certaine mesure mes productions. Aujourd’hui, je me retrouve pris dans une situation où concourent des obligations contraignantes vis-à-vis de mon emploi dit « alimentaire » et une trop grande liberté de création artistique incarnée par l’absence d’enseignants et d’exigences académiques auxquelles me conformer (bien qu’en réalité, ces rôles se sont simplement déplacés dans un cadre plus large qu’est le milieu artistique dans lequel je m’inscris géographiquement) — sur ce dernier point, il s’agit d’un conformisme et d’une attitude « scolaires » dont je n’ai pas encore su me défaire.
Une autre forme de contradiction existe dans la relation qui lie mes deux emplois. D’un côté, je fais l’usage de techniques propres à la publicité pour inciter à la consommation ou à l’usage de certains types de produits — le tout dans un contexte local très spécifique. De l’autre, j’essaie à ma manière d’avoir une démarche engagée envers mes concitoyens et mon territoire. Ces deux aspects des actions par lesquelles je me définis professionnellement s’alternent et se succèdent comme s’il s’agissait d’un repentir. Mais la différence entre les moyens mobilisés d’un côté et de l’autre, et la nature des publics auxquels s’adressent l’un et l’autre font que ce rapport de force est lui aussi inégal.
Subsister en tant qu’artiste semble être, de mon observation, une lutte intérieure permanente faite de frustrations, de contradictions et de compromis parfois inévitables. Je m’amuse à penser que de là naît une véritable nécessité à faire de l’art, même si vivre dans ces conditions n’a certainement rien d’enviable. Si ma situation personnelle n’est pas la plus à plaindre, je la vois comme une étape temporaire mais nécessaire à ma construction en tant qu’artiste. L’avenir dira le reste.
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On parle de manière générale, en marketing, d’expérience utilisateur pour désigner l’expérience vécue par un individu lorsqu’il est amené à interagir avec un objet, qu’il s’agisse par exemple d’un produit ou d’un service. Réunir les conditions d’une expérience positive, à la fois dans la conception de l’objet et dans la manière dont il est amené à être consommé, permet de mener sa cible à la conversion, à l’achat et à la fidélisation.
Le concept d’UX Design (ou design d’expérience utilisateur) admet que cette expérience est “designable“. Après avoir clairement identifié le ou les besoins de l’utilisateur, on s’assure dans un premier temps que le produit ou le service est à même d’y répondre, puis on s’attèle à rendre le cheminement entre le besoin et la réponse à ce besoin le plus “positif” possible — en le raccourcissant, en le facilitant, en le rendant plus agréable. La difficulté réside dans la multiplicité des moyens employables à cet effet, à laquelle s’ajoute le fait que chacun de ces moyens peut répondre à ou appeler de nouveaux besoins, en fonction de la façon dont ils interagissent entre eux et avec chaque utilisateur dans son unicité. Il est cependant possible dans une certaine mesure d’anticiper les résultats de ces paramètres grâce à l’analyse des résultats de cas précédents ou de tests préalables, en se basant sur des faits scientifiques et/ou sociaux, par la projection d’une expérience personnelle, ou par l’interprétation des observations faites dans notre environnement immédiat (on tend tout de même à éviter les deux derniers cas).
Prenons l’exemple du stylo : il répond au besoin des utilisateurs de laisser des traces sur une surface. La réponse à ce besoin peut être affinée selon que l’utilisateur a besoin de laisser des traces d’une couleur particulière, d’une épaisseur particulière ou sur une surface particulière. Une catégorie de produits “stylo” servira donc à répondre à une combinaison de besoins spécifiques, ce qui donne déjà ici un nombre assez conséquent de catégories de produits “stylo” différentes possibles. Tous les produits d’une même catégorie n’en sont pas pour autant égaux en matière d’expérience utilisateur : certains stylos, de par leur forme, peuvent être plus ergonomiques et donc plus agréable à utiliser que d’autres ; certains peuvent être dotés d’un clip qui peut faciliter leur transport et leur donner une meilleure stabilité lorsqu’ils sont posés sur une surface plane ; d’autres peuvent êtres dotés d’un bouchon ou d’un système de ressort pour éviter que la pointe ne sèche… Les possibilités sont potentiellement illimitées.
Dans le meilleur des mondes on n’aurait donc jamais à se plaindre des produits et des services qui nous sont proposés, ce qui est bien loin d’être le cas. S’il peut sembler aisé — en apparence, du moins — d’imaginer le stylo parfait, d’autres produits et services peuvent nécessiter des efforts de réflexion et des études plus ou moins complexes et étalés sur la durée avant de pouvoir prétendre proposer une expérience utilisateur optimale. La mise en application ou en production des résultats de cette étape de recherche préalable peuvent également être confrontés à des difficultés techniques et des contraintes de coût qui se répercuteront inévitablement sur le prix final du produit ou du service. L’utilisateur devra donc en général payer plus cher pour une meilleure expérience utilisateur.
La réalité de notre système économique obligera par la suite à faire des compromis sur cette expérience utilisateur : un produit qui apporterait une totale satisfaction à son utilisateur ne serait probablement jamais remplacé, et il est donc souvent plus judicieux de proposer délibérément une expérience utilisateur toujours perfectible ou qui sera amenée à se dégrader au fil du temps ; c’est ce que l’on appelle l’obsolescence programmée. Celle-ci concerne plus particulièrement les produits de consommation, mais les intrusions de l’économie dans l’expérience utilisateur peuvent aussi se faire sous d’autres formes. Par exemple, les utilisateurs rejettent unanimement la publicité en ligne, mais celle-ci constitue très souvent une source de revenus non négligeable pour les sites internet (ces revenus étant généralement destinés à couvrir les seuls coûts de maintien en ligne). Ces sites internet doivent ainsi intégrer la publicité d’une manière qui la rend performante sans pour autant gêner l’expérience utilisateur de manière excessive. Ces compromis, quelle que soit leur forme, se font toujours au final au détriment de l’utilisateur.
En résumé, l’expérience utilisateur est comparable à un terrain d’échanges entre celui qui la vit et celui qui la conçoit. Bien que les rapports qui s’y jouent ne soient pas parfaitement équitables, elle garantit que les deux parties en tirent — dans le meilleur des cas — un certain bénéfice : d’un côté une expérience satisfaisante, et de l’autre la satisfaction de l’utilisateur (et tout ce que cela implique lorsqu’il est question de marketing).
L’expérience de l’art présente en cela des similitudes avec l’expérience utilisateur. Les différences fondamentales entre le produit de consommation et l’œuvre d’art font que ces notions ne se transposent pas à l’identique, mais certains mécanismes se retrouvent aussi bien d’un côté que de l’autre.
L’art ne répond pas à un besoin dans le sens où on l’entend lorsque l’on désigne un produit comme le stylo, par exemple, mais il engendre bien des expériences variables au moment de la rencontre entre l’œuvre et le “regardeur”. Si cela apparaît comme une évidence dans les courants picturaux où la nature du sujet, la composition de l’image et la palette utilisée stimulent d’une façon particulière le sens de l’esthétique, les émotions et les sentiments du “regardeur”, il me paraît encore plus flagrant dans les pratiques “contemporaines” où l’on s’affranchit du beau et des médiums dits traditionnels pour tenter justement de proposer des expériences inédites. De plus, contrairement au marketing, l’art n’a a priori pas pour objectif final de répondre aux attentes d’éventuels consommateurs ; il sert davantage un discours et une intention, ceux de l’artiste. De cela naissent des expériences qui peuvent être plaisantes, désagréables, déstabilisantes, [entrez ici n’importe quel adjectif qualificatif], ou plusieurs de ces choses à la fois…
Les expérimentations auxquelles nous a habituée notre éducation artistique nous amènent sans cesse à questionner la forme et la mise en contexte des œuvres que l’on pourrait être amené à produire. On apprend ainsi à distinguer les effets des œuvres monumentales, intimes, interactives, dans l’espace public, dans le “white cube”, etc. Cela prend tout son sens quand on considère l’art comme un moyen de communication à part entière ; en manipulant les conditions de l’expérience du “regardeur”, l’artiste donne à découvrir une vision particulière du monde. Cet échange est souvent mis en échec lorsque l’expérience produite est en trop grand décalage avec celle escomptée, car après tout, les éléments de langage sur lesquels cette communication est fondée sont changeants, subjectifs et parfois intraduisibles. Ainsi sommes-nous forcés d’accepter que ce que l’art fait avec la plus grande constance est de nous interroger sur nous-mêmes et de mettre en exergue la variabilité des choses.
L’expérience inhérente à l’œuvre est rarement la seule à laquelle il est possible d’être confronté en tant que “regardeur”. Dans le cadre d’une exposition, la façon dont l’œuvre interagit avec les autres et la façon dont cet ensemble interagit avec un contexte spatial et un contexte temporel particuliers constituent autant de conditions possibles à la production de nouvelles expériences. Mais il me semble que ce sujet mériterait son propre développement.
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Il y a plus ou moins un an, j’ai franchi le pas entre l’école d’art et le monde de la communication en rejoignant les effectifs d’une agence digitale. Bien sûr, il m’arrive quelques fois de regretter de n’avoir que peu de temps à consacrer à ce qui était l’objet premier de mes études, mais je me console à l’idée qu’il s’agisse d’une occasion bienvenue de laisser ma pratique en jachère quelques temps, et également d’une opportunité d’explorer un nouveau champ de connaissances, en l’occurrence le marketing (en plus de pouvoir, accessoirement, goûter à un semblant de stabilité financière).
Profondément imprégné par ma formation initiale, je ne peux néanmoins m’empêcher de vouloir tout ramener à une certaine proximité de l’art, peut-être par crainte de me laisser emporter trop loin par le courant. Par chance, l’art a plutôt tendance à s’ouvrir aux autres disciplines et même à s’en nourrir, à la manière d’un morceau de pâte à modeler qui en ingèrerait d’autres pour devenir une masse informe aux couleurs dégueulasses.
C’est donc tout naturellement que mon intérêt se porte sur les ponts possibles entre les deux blocs ; les liens formés par l’utilisation de techniques et outils marketing par les artistes et autres acteurs et institutions de l’art. Certains peuvent paraître évidents, comme la relation quasi-intrinsèque qui est à l’œuvre au sein du marché de l’art ou art market — qui donnerait un mélange de pâte à modeler presque totalement homogène —, ou le format de l’exposition, qui accorde de la visibilité et un potentiel de diffusion à un ou plusieurs artistes et leurs œuvres le temps d’un évènement au sens large — que je visualiserais cette fois comme deux morceaux de pâte à modeler greffés l’un à l’autre sans pour autant se mélanger.
Mais la vente et la promotion, évoquées dans ces deux exemples, ne sont pas nécessairement les seules fins du marketing, et son intégration peut également débuter dans les étapes de la création de l’œuvre, à partir du moment où sa mise en espace et sa mise en relation avec quelconque élément extérieur à elle sont envisagées ; car de ces agencements et interactions particuliers découleront des expériences variables, celles des individus qui composeront son potentiel public.
Les stratégies marketing semblent justement tourner autour de l’expérience : celle du client avant, au moment de ou après l’achat ; face à une marque, un point de vente, un produit ou lors de l’utilisation de ce même produit. Sans aller jusqu’à comparer l’œuvre d’art au produit de consommation, je ne peux m’empêcher de penser que l’approche marketing et la démarche artistique ont en commun que leur communication repose sur les effets qu’elle pourrait induire sur des éléments comme les émotions, les sentiments, la culture, les connaissances (ou le manque de connaissances) des individus auxquels elles sont destinées, que les méthodes de cette communication soient fondées sur des données statistiques précises ou de pures intuitions.
Si dans tous les cas, cela peut s’apparenter à une certaine forme de manipulation psychologique, les divergences se situent dans les intentions et les objectifs qui se trouvent à la source de ces méthodes, ainsi que dans les conditions nécessaires à la production de l’expérience, et enfin dans cette expérience elle-même. Inciter à la consommation, diffuser un message politique, communiquer une certaine vision du monde, exprimer un état d’esprit, etc., sont autant de raisons possibles de recourir au marketing, mais toutes ne produisent évidemment pas la même expérience.
Je ne souhaite pas développer ces réflexions avec l’objectif de fournir un manuel sur ce que serait une communication artistique efficace (car j’en serais de toute façon incapable). Il s’agit plutôt d’une démarche orientée vers la volonté modérément idéaliste de recentrer la pratique artistique sur une prise en considération augmentée et assumée de son public, de ses “consommateurs” et des expériences que pourraient produire leur rencontre.
Dans ce raisonnement, le marketing ne doit pas être imaginé comme une entité sur laquelle la publicité et la propagande auraient la mainmise, mais plutôt comme un ensemble d’outils libres qui se trouvent être également à la disposition des artistes pour une utilisation consentie et éclairée.